Courtesy de Sarah Tritz et du FRAC Pays de la Loire
©André Morin, Aurélien Molle et Frédérique Avril
On se rencontre aujourd’hui dans ton atelier, quelle place cet espace a-t-il dans la réalisation de tes pièces ?
L’atelier a une place très importante dans ma façon de travailler. Je produis ici toutes les maquettes de mes pièces que je fais réaliser ensuite par des artisans et je conçois également dans mon atelier les pièces qui ne nécessitent pas de contribution autre. Je travaille essentiellement avec du papier, du tissu ou du carton. Je modèle parfois des sculptures en terre crue, modelages-modèles destinés à devenir des tirages en bronze. L’atelier jouxte mon appartement, ma bibliothèque est à portée de main.
Plus les années passent plus le travail s’intègre à une vie quotidienne. Il arrive que l’atelier devienne par exemple, le dépôt des petits trains de mon fils, ou qu’une ou deux peluches aient trouvé refuge sous ma table de dessin ! En réalité cela m’amuse et a fini par être pris en charge dans mon processus de travail (voir mes pièces récentes intitulées Le train bleu et le train rouge).
Quelle place laisses-tu à l’artisan dans la réalisation ? Comment se passe votre échange à partir de ce moment ?
Je décris toujours à l’artisan au préalable ma façon de travailler, et nous voyons ensemble si cela lui convient. C’est un constant dialogue. En l’occurrence l’ébéniste, Emmanuel Kawala, avec lequel je travaille est basé à Tournon-sur-Rhône.
Nos discussions se font donc dans un premier temps par téléphone et je lui demande de m’envoyer une image de chaque étape de travail. Pour l’exposition, J’aime le Rose pâle et les femmes ingrates au Centre d’art contemporain d’Ivry - le CRÉDAC, il a réalisé deux buffets quasi similaires d’après une maquette à échelle 1 en 2D que j’avais dessinée. Je ne réalise jamais mes maquettes par le biais d’un logiciel 3D. Tout est fait main avec un papier appelé carton-bois légèrement beige. Je ne colore pas mes maquettes. J’apporte beaucoup de soin et de rigueur à cette première étape de travail. C’est en quelque sorte la base pour que l’artisan traduise au mieux ce que je veux !
Le premier buffet a été montré dans l’exposition J’aime le Rose pâle et les femmes ingrates, et l’autre au Crédit Municipal de la Ville de Paris (c’est grâce à la bourse 1 % marché de l’art qui m’a été attribuée par le CM de Paris que j’ai pu produire ces deux buffets). Je demande aux artisans de suivre précisément mes maquettes et mes choix préalables des différentes essences de bois etc., mais là par exemple concernant les deux buffets, en voyant une des étapes intermédiaires lors de la construction j’ai décidé de ne pas le recouvrir avec le placage chêne que j’avais envisagé. Il faut que l’artisan et moi-même nous acceptons les légers changements éventuels que je souhaite, provoqués par la matérialité du bois (sa couleur, sa masse, son impact à l’oeil etc). Il est nécessaire que l’artisan reproduit avec précision les maladresses et singularité de mon trait comme, par exemple, pour ma pièce intitulée Be cooler dont toute la face est ornementée d’un dessin représentant un couple. C’est un dessin dont aucune courbe n’est courbe et aucune ligne n’est droite ! Il ne fallait en aucun cas que l’artisan soit tenté de tout « lisser» en utilisant les outils adéquats pour réaliser un demi-cercle.
Le dialogue est assez simple mais vient préciser au mieux les gestes de l’artisan.
Son savoir-faire est une préciosité que j’admire et respecte profondément. Le temps de travail pour ces pièces-là faites avec l’aide de quelqu’un est parfois plus long que les formes que j’effectue seule à l’atelier et elles m’échappent malgré tout à un moment donné, une sorte de distanciation s’opère au moment où je confie la maquette à cet autre.
Tu parles souvent de peintures en 3 dimensions, ton rapport à la sculpture questionne les jeux de couleurs et les confrontations de matériaux. À quel moment l’idée d’un ensemble arrive dans ton processus de travail ? C’est plutôt des fragments pensés séparément ?
Je fonctionne depuis quelques temps par « familles » de pièces, et je réalise en général des couples de pièces, afin que le regardeur s’y retrouve mais aussi pour mieux saisir ce que je fais moi.
Je peux par exemple vous parler de ma sculpture intitulée Le Moche, elle a été réalisée à partir d’un dessin d’Antonin Artaud, intitulé le Totem. J’ai donc traduit en volume et agrandi son échelle, Le Moche étant d’une hauteur de 3 mètres. J’ai réalisé une seconde sculpture avec le même procédé : Le Géant, celle-ci partait d’un dessin de Max Ernst intitulé Figure Humaine. Ce sont dans les deux cas des sculptures très grandes et très plates. Leurs platitudes respectives évoquent à mon sens davantage la peinture que la sculpture, néanmoins c’est sur un fil. Chaque pièce a son histoire.
J’ai des axes de recherche qui sont toujours constants ; la question de la figure anthropomorphe, de la représentation du désir et de comment une pièce donne à voir une surface. J’ai aussi un intérêt depuis maintenant plusieurs années pour les arts décoratifs. Dans deux de mes sculptures je me suis inspirée de la ferronnerie de la porte de mon ascenseur, qui est un immeuble de 1934. Il se trouve que Lichtenstein a fait une seule sculpture dans sa vie, hyper abstraite, qui reprend vraiment des courbes et des lignes de ce genre et sa sculpture m’avait beaucoup marquée. Ce qui me plaît là-dedans c’est qu’il y a une espèce d’ambiguïté entre mobilier design et sculpture. Je développe cela notamment avec une série de mobilier que je suis en train de réaliser pour chez moi.
Ce seront des pièces uniques. J’ai beaucoup regardé le travail d’Eileen Gray, d’Annie Albers, de Clara Porset et de Jan Krizek qui ont leur vie entière conçu du mobilier, de la vaisselle, des tapis etc... et cela en vue aussi d’une autonomie et d’un engagement politique au sens où cela inclut l’art dans la vie quotidienne, de la même façon que ce que l’on nomme Folk Art. Les deux buffets dont je parlais précédemment restent, bien qu’ils soient quasiment similaires, des pièces uniques.
Je regarde attentivement l’art folk américain, l’art populaire français et l’art brut. J’en retiens certains gestes. L’art populaire ou le Folk art sont un genre d’artisanat amateur réalisé avec une économie de moyen qui donne aux formes plastiques une modestie que je trouve bouleversante.
Dans l’exposition collective Futur, ancien, fugitif à laquelle j’ai participé au Palais de Tokyo, j’ai montré trois de mes Theater computer, j’ai voulu faire mes propres ordinateurs avec un clavier très déficient puisqu’il n’est pas doté de toutes les lettres de l’alphabet. L’écran, lui, est composé de dessins et/ou de photographies assez érotiques réalisés par mes soins et de fragments d’impressions de produits alimentaires. Pour ces Theater computer il s’agit d’un équilibre précis entre quelque chose de très brut et d’étrangement sophistiqué dans la composition que
l’on voit sur les écrans.
Dans une interview d’il y a une dizaine d’années tu expliques que le point de départ d’un de tes travaux a été des trouvailles faites aux puces à Marseille. Ces objets à partir desquels tu as construit des mobiliers pour les accueillir en guise de socle. La pratique des puces, des brocantes est-elle importante dans ta création de formes et d’installations ? Aussi, plus personnellement, est-ce que tu te dirais collectionneuse ?
Je déteste collectionner, c’est déjà très compliqué de stocker ses propres sculptures. Je ne glane pas. Les rares fois où j’ai acheté quelque chose aux puces, ça avait une destination.
Ce moment à Marseille était le début d’une part de mon intérêt pour le mobilier, et d’autre part du fait de faire du socle autre chose qu’un carré blanc. Effectivement je voulais pour chaque objet trouvé réaliser un meuble spécifique et dès lors interroger le socle, éviter le socle blanc. Il y avait tout un processus de construction engendré simplement pour poser l’objet.
À plusieurs reprises tu t’es située en tant qu’artiste- curatrice, notamment assez récemment pour l’exposition au CRÉDAC J’aime le rose pâle et les femmes ingrates, où tu as fait se répondre tes dernières oeuvres avec 29 oeuvres d’artistes. Qu’est-ce qui a motivé cette exposition et ce choix curatorial ?
Quand je travaille dans mon atelier je convoque plusieurs artistes, j’ai beaucoup de dossiers d’images dans mon ordinateur qui regroupent plusieurs oeuvres et qui pourraient être de potentiels projets d’exposition. Pendant mon exposition personnelle, J’ai du chocolat dans le coeur, au Frac de Limoges j’avais eu l’opportunité de puiser dans la très belle collection du FRAC.
Le directeur, Yannick Miloux m’avait proposé de faire trois volets d’exposition, dans une des alcôves, avec les oeuvres de la collection, en regard de mon exposition. J’ai beaucoup aimé faire ça, et cela montrait par des chemins de traverses mes différents axes de réflexion. Le projet au CRÉDAC est un projet auquel j’ai réfléchi et que j’ai imaginé plusieurs mois avant de le soumettre à Claire Le Restif la directrice. Le fait d’être en lien avec une institution comme celle-ci m’a permis de puiser dans plusieurs collections nationales. Ça a été un travail de commissariat et surtout de mise en lien entre différentes oeuvres.
Tu enseignes maintenant depuis plusieurs années dans des écoles d’art (à l’ENSBA Lyon, à la Villa Arson et à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs), est-ce que ça a une incidence sur ta pratique artistique ? Quel regard portes-tu sur la jeune création ?
Ça va faire dix ans que j’enseigne et plus récemment à l’EnsAD. J’ai commencé à enseigner assez jeune, à 30 ans, j’aime beaucoup ce rapport aux formes qui naissent des étudiants. Enseigner apprend, et regarder toutes sortes de pratiques plastiques vient bousculer ma façon de regarder et de penser. Un nombre incroyable d’étudiants sont formidables et avec certain.e.s
le dialogue continue même après l’école. Enseigner pousse dans ses retranchements.
Je vais également voir beaucoup d’expositions pour en parler aux étudiants. On marche sur des oeufs quand on enseigne, ce qu’on nomme Art c’est quelque chose de quasiment impossible à enseigner. On n’enseigne pas l’art, on enseigne le fait d’apprendre à regarder et à se positionner dans une Histoire ou des histoires. Il faut au sein même des écoles d’art désapprendre un certain nombre de choses et avoir une sorte de résistance propre à l’autodidacte.
Mon désir est de transmettre cela aux étudiants, jouer le jeu, mais toujours être critique. Je ne pense pas qu’il y ait une jeune création, non, il y a acte de création ou pas. Il y a réflexion ou pas. Il y a un désir ou une nécessité à faire des formes ou à conceptualiser des choses ou pas. J’ai dans tous les cas jusqu’à présent rencontré essentiellement de très belles personnes, des jeunes gens très engagés dans leur cheminement de pensée et leur singularité. L’école d’art est un des derniers endroits où on peut, je l’espère, ne pas être rentable en quelque sorte, malgré le désir fort à vouloir professionnaliser le parcours des étudiants.
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Courtesy de Sarah Tritz et du FRAC Pays de la Loire
©André Morin, Aurélien Molle et Frédérique Avril
On se rencontre aujourd’hui dans ton atelier, quelle place cet espace a-t-il dans la réalisation de tes pièces ?
L’atelier a une place très importante dans ma façon de travailler. Je produis ici toutes les maquettes de mes pièces que je fais réaliser ensuite par des artisans et je conçois également dans mon atelier les pièces qui ne nécessitent pas de contribution autre. Je travaille essentiellement avec du papier, du tissu ou du carton. Je modèle parfois des sculptures en terre crue, modelages-modèles destinés à devenir des tirages en bronze. L’atelier jouxte mon appartement, ma bibliothèque est à portée de main.
Plus les années passent plus le travail s’intègre à une vie quotidienne. Il arrive que l’atelier devienne par exemple, le dépôt des petits trains de mon fils, ou qu’une ou deux peluches aient trouvé refuge sous ma table de dessin ! En réalité cela m’amuse et a fini par être pris en charge dans mon processus de travail (voir mes pièces récentes intitulées Le train bleu et le train rouge).
Quelle place laisses-tu à l’artisan dans la réalisation ? Comment se passe votre échange à partir de ce moment ?
Je décris toujours à l’artisan au préalable ma façon de travailler, et nous voyons ensemble si cela lui convient. C’est un constant dialogue. En l’occurrence l’ébéniste, Emmanuel Kawala, avec lequel je travaille est basé à Tournon-sur-Rhône.
Nos discussions se font donc dans un premier temps par téléphone et je lui demande de m’envoyer une image de chaque étape de travail. Pour l’exposition, J’aime le Rose pâle et les femmes ingrates au Centre d’art contemporain d’Ivry - le CRÉDAC, il a réalisé deux buffets quasi similaires d’après une maquette à échelle 1 en 2D que j’avais dessinée. Je ne réalise jamais mes maquettes par le biais d’un logiciel 3D. Tout est fait main avec un papier appelé carton-bois légèrement beige. Je ne colore pas mes maquettes. J’apporte beaucoup de soin et de rigueur à cette première étape de travail. C’est en quelque sorte la base pour que l’artisan traduise au mieux ce que je veux !
Le premier buffet a été montré dans l’exposition J’aime le Rose pâle et les femmes ingrates, et l’autre au Crédit Municipal de la Ville de Paris (c’est grâce à la bourse 1 % marché de l’art qui m’a été attribuée par le CM de Paris que j’ai pu produire ces deux buffets). Je demande aux artisans de suivre précisément mes maquettes et mes choix préalables des différentes essences de bois etc., mais là par exemple concernant les deux buffets, en voyant une des étapes intermédiaires lors de la construction j’ai décidé de ne pas le recouvrir avec le placage chêne que j’avais envisagé. Il faut que l’artisan et moi-même nous acceptons les légers changements éventuels que je souhaite, provoqués par la matérialité du bois (sa couleur, sa masse, son impact à l’oeil etc). Il est nécessaire que l’artisan reproduit avec précision les maladresses et singularité de mon trait comme, par exemple, pour ma pièce intitulée Be cooler dont toute la face est ornementée d’un dessin représentant un couple. C’est un dessin dont aucune courbe n’est courbe et aucune ligne n’est droite ! Il ne fallait en aucun cas que l’artisan soit tenté de tout « lisser» en utilisant les outils adéquats pour réaliser un demi-cercle.
Le dialogue est assez simple mais vient préciser au mieux les gestes de l’artisan.
Son savoir-faire est une préciosité que j’admire et respecte profondément. Le temps de travail pour ces pièces-là faites avec l’aide de quelqu’un est parfois plus long que les formes que j’effectue seule à l’atelier et elles m’échappent malgré tout à un moment donné, une sorte de distanciation s’opère au moment où je confie la maquette à cet autre.
Tu parles souvent de peintures en 3 dimensions, ton rapport à la sculpture questionne les jeux de couleurs et les confrontations de matériaux. À quel moment l’idée d’un ensemble arrive dans ton processus de travail ? C’est plutôt des fragments pensés séparément ?
Je fonctionne depuis quelques temps par « familles » de pièces, et je réalise en général des couples de pièces, afin que le regardeur s’y retrouve mais aussi pour mieux saisir ce que je fais moi.
Je peux par exemple vous parler de ma sculpture intitulée Le Moche, elle a été réalisée à partir d’un dessin d’Antonin Artaud, intitulé le Totem. J’ai donc traduit en volume et agrandi son échelle, Le Moche étant d’une hauteur de 3 mètres. J’ai réalisé une seconde sculpture avec le même procédé : Le Géant, celle-ci partait d’un dessin de Max Ernst intitulé Figure Humaine. Ce sont dans les deux cas des sculptures très grandes et très plates. Leurs platitudes respectives évoquent à mon sens davantage la peinture que la sculpture, néanmoins c’est sur un fil. Chaque pièce a son histoire.
J’ai des axes de recherche qui sont toujours constants ; la question de la figure anthropomorphe, de la représentation du désir et de comment une pièce donne à voir une surface. J’ai aussi un intérêt depuis maintenant plusieurs années pour les arts décoratifs. Dans deux de mes sculptures je me suis inspirée de la ferronnerie de la porte de mon ascenseur, qui est un immeuble de 1934. Il se trouve que Lichtenstein a fait une seule sculpture dans sa vie, hyper abstraite, qui reprend vraiment des courbes et des lignes de ce genre et sa sculpture m’avait beaucoup marquée. Ce qui me plaît là-dedans c’est qu’il y a une espèce d’ambiguïté entre mobilier design et sculpture. Je développe cela notamment avec une série de mobilier que je suis en train de réaliser pour chez moi.
Ce seront des pièces uniques. J’ai beaucoup regardé le travail d’Eileen Gray, d’Annie Albers, de Clara Porset et de Jan Krizek qui ont leur vie entière conçu du mobilier, de la vaisselle, des tapis etc... et cela en vue aussi d’une autonomie et d’un engagement politique au sens où cela inclut l’art dans la vie quotidienne, de la même façon que ce que l’on nomme Folk Art. Les deux buffets dont je parlais précédemment restent, bien qu’ils soient quasiment similaires, des pièces uniques.
Je regarde attentivement l’art folk américain, l’art populaire français et l’art brut. J’en retiens certains gestes. L’art populaire ou le Folk art sont un genre d’artisanat amateur réalisé avec une économie de moyen qui donne aux formes plastiques une modestie que je trouve bouleversante.
Dans l’exposition collective Futur, ancien, fugitif à laquelle j’ai participé au Palais de Tokyo, j’ai montré trois de mes Theater computer, j’ai voulu faire mes propres ordinateurs avec un clavier très déficient puisqu’il n’est pas doté de toutes les lettres de l’alphabet. L’écran, lui, est composé de dessins et/ou de photographies assez érotiques réalisés par mes soins et de fragments d’impressions de produits alimentaires. Pour ces Theater computer il s’agit d’un équilibre précis entre quelque chose de très brut et d’étrangement sophistiqué dans la composition que
l’on voit sur les écrans.
Dans une interview d’il y a une dizaine d’années tu expliques que le point de départ d’un de tes travaux a été des trouvailles faites aux puces à Marseille. Ces objets à partir desquels tu as construit des mobiliers pour les accueillir en guise de socle. La pratique des puces, des brocantes est-elle importante dans ta création de formes et d’installations ? Aussi, plus personnellement, est-ce que tu te dirais collectionneuse ?
Je déteste collectionner, c’est déjà très compliqué de stocker ses propres sculptures. Je ne glane pas. Les rares fois où j’ai acheté quelque chose aux puces, ça avait une destination.
Ce moment à Marseille était le début d’une part de mon intérêt pour le mobilier, et d’autre part du fait de faire du socle autre chose qu’un carré blanc. Effectivement je voulais pour chaque objet trouvé réaliser un meuble spécifique et dès lors interroger le socle, éviter le socle blanc. Il y avait tout un processus de construction engendré simplement pour poser l’objet.
À plusieurs reprises tu t’es située en tant qu’artiste- curatrice, notamment assez récemment pour l’exposition au CRÉDAC J’aime le rose pâle et les femmes ingrates, où tu as fait se répondre tes dernières oeuvres avec 29 oeuvres d’artistes. Qu’est-ce qui a motivé cette exposition et ce choix curatorial ?
Quand je travaille dans mon atelier je convoque plusieurs artistes, j’ai beaucoup de dossiers d’images dans mon ordinateur qui regroupent plusieurs oeuvres et qui pourraient être de potentiels projets d’exposition. Pendant mon exposition personnelle, J’ai du chocolat dans le coeur, au Frac de Limoges j’avais eu l’opportunité de puiser dans la très belle collection du FRAC.
Le directeur, Yannick Miloux m’avait proposé de faire trois volets d’exposition, dans une des alcôves, avec les oeuvres de la collection, en regard de mon exposition. J’ai beaucoup aimé faire ça, et cela montrait par des chemins de traverses mes différents axes de réflexion. Le projet au CRÉDAC est un projet auquel j’ai réfléchi et que j’ai imaginé plusieurs mois avant de le soumettre à Claire Le Restif la directrice. Le fait d’être en lien avec une institution comme celle-ci m’a permis de puiser dans plusieurs collections nationales. Ça a été un travail de commissariat et surtout de mise en lien entre différentes oeuvres.
Tu enseignes maintenant depuis plusieurs années dans des écoles d’art (à l’ENSBA Lyon, à la Villa Arson et à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs), est-ce que ça a une incidence sur ta pratique artistique ? Quel regard portes-tu sur la jeune création ?
Ça va faire dix ans que j’enseigne et plus récemment à l’EnsAD. J’ai commencé à enseigner assez jeune, à 30 ans, j’aime beaucoup ce rapport aux formes qui naissent des étudiants. Enseigner apprend, et regarder toutes sortes de pratiques plastiques vient bousculer ma façon de regarder et de penser. Un nombre incroyable d’étudiants sont formidables et avec certain.e.s
le dialogue continue même après l’école. Enseigner pousse dans ses retranchements.
Je vais également voir beaucoup d’expositions pour en parler aux étudiants. On marche sur des oeufs quand on enseigne, ce qu’on nomme Art c’est quelque chose de quasiment impossible à enseigner. On n’enseigne pas l’art, on enseigne le fait d’apprendre à regarder et à se positionner dans une Histoire ou des histoires. Il faut au sein même des écoles d’art désapprendre un certain nombre de choses et avoir une sorte de résistance propre à l’autodidacte.
Mon désir est de transmettre cela aux étudiants, jouer le jeu, mais toujours être critique. Je ne pense pas qu’il y ait une jeune création, non, il y a acte de création ou pas. Il y a réflexion ou pas. Il y a un désir ou une nécessité à faire des formes ou à conceptualiser des choses ou pas. J’ai dans tous les cas jusqu’à présent rencontré essentiellement de très belles personnes, des jeunes gens très engagés dans leur cheminement de pensée et leur singularité. L’école d’art est un des derniers endroits où on peut, je l’espère, ne pas être rentable en quelque sorte, malgré le désir fort à vouloir professionnaliser le parcours des étudiants.
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