La narration est très présente dans ton travail qui semble être pensé en parties. Les projets sont séquentiels, fragmentés. Ce serait le premier épisode d’une série Anna & the Jester ?
En effet, il va y avoir un second épisode. J’ai eu une bourse du FNAGP pour le produire. Il sera réalisé avant la fin de l’année, avec la même équipe Sybil Montet-Simon Kounovosky pour un solo show à Kunstraum, à Londres. L’épisode devrait s’intituler The Jester and The Death.
Tu expliques interroger et déconstruire la narration depuis tes précédents projets. Dans ta discussion avec la commissaire de l’exposition, Laura Herman, tu as fait le constat qu’une approche trop expérimentale ne « prenait » pas, n’atteignait pas le public.
Oui, mais c’était il y a 15 ans.
Aujourd’hui dans Anna & the Jester, tu utilises une méthode de narration plus traditionnelle mais juste dans sa forme (la présence d’un personnage par exemple). Elle est davantage abordable et familière mais tu la détournes dans sa finalité. Tu identifies aussi clairement un des problèmes qui peuvent découler du fait d’être moins élitiste : la simplification, l’utilisation d’outils ou de solutions conventionnelles et dans la norme. Comment doses-tu l’aspect abordable dans tes projets ? Quelles limites mets-tu ?
Ça fait un moment que je travaille principalement avec des personnages, 7 ans maintenant.
Le projet Have you seen Pantopon Rose? que j’ai écrit de 2012 à 2017 était initialement une performance qui s’est transformée en film, puis à nouveau en performance. Le moteur de cette histoire est Rose Pantopon, un personnage qui apparait dans Le Festin nu de William Burroughs. Dans le livre, c’est comme une silhouette au cinéma ; tu la vois, de loin ou rapidement, un peu floue.
Tu n’entends jamais sa voix mais peut-être aperçois-tu ses lèvres bouger. Je m’appuie souvent sur un personnage pour raconter une histoire, un personnage fictionnalisé car il ne m’est pas possible d’endosser le costume de quelqu’un qui a vraiment existé, ou alors c’est twisté comme avec Anna & the Jester. Anna, c’est Anna Morandi, une anatomiste du XVIIIe siècle, mais je ne pouvais pas être Anna, alors j’ai créé un double, le Jester.
Du coup nous sommes 3 à cohabiter sous une même entité : moi, Anna et le Jester.
Le rapport aux contes est essentiel dans nombre de mes récits. C’est l’oralité, l’être ensemble. Quand on racontait des histoires, sans poste de radio, de télé (sans parler d’internet), on se réunissait et on écoutait. Tous les âges de la famille cohabitaient sous les mêmes histoires, qui étaient comprises par chacun suivant ce qu’il/elle était. C’est ces différentes passes, ces différents niveaux de lectures que j’ai cherché à retrouver pour Anna & The Jester.
Pour parler de ces différents niveaux de lecture, les dialogues peuvent sembler assez énigmatiques. Si on n’a pas le bagage théorique, l’entièreté de ce qui est raconté peut rester un peu flou. Est-ce que le registre énigmatique est une manière d’interroger les concepts abordés, comme la transparence, et a fortiori de faire s’interroger le spectateur lui-même sur ces questions ?
Je pense qu’il y a des choses qui se passent dans le texte, il y en a qui sont compréhensibles plus immédiatement, d’autres moins, mais on peut toujours se rapporter aux images et à l’action. Ayant travaillé longtemps sur ce projet, il m’est difficile de juger ce qui est trop théorique ou à l’inverse. Et je pense que la tension réside aussi dans ça.
Il y a des moments plus simples, plus drôles qui suivent ou précédent d‘autres plus tragiques ou plus cryptiques. Ce qui m’intéresse dans les textes que j’écris, ce sont ces constantes vagues. En sommes on ne sait jamais ce qu’il va arriver et tout reste incertain et mobile. Personnellement, je n’ai pas de bagage théorique sur la transparence, je ne parle pas en tant qu’experte ou théoricienne de ces concepts dans le film. Je vais lire et faire des recherches pendant un an sur un thème, que je vais essayer de digérer et à partir de cela, je vais commencer à écrire en m’appuyant sur mes notes. Les films sont à l’image de mes interrogations.
Je ne cherche pas de réponses bleues ou rouges, blanches ou noires mais par la lecture j’essaie en effet de me situer le plus loin possible de quelques simplifications que ce soit. Ce dont je me méfie ce sont ces espèces de mots valises, qui sont utilisés partout, et à toutes les sauces, tant et si bien qu’ils perdent leur essence et deviennent jute une enveloppe. À partir du moment où un mot commence à être sur-utilisé, il y a pour moi des questions à se poser sur ce qu’est ce mot ou ce concept et pourquoi il est manipulé.
Il y a aussi une manipulation de l’étrangeté, du malaise, on est sur quelque chose de volontaire et assumé rien que par tes choix de référence : les fœtus morts nés pour les personnages. Est-ce que tu vois le malaise comme un outil de réflexion ou comme quelque chose intrinsèque à ton travail ?
Vous avez été mal à l’aise devant le film ? Je demande pour savoir ce que vous avez ressenti.
Ce n’est peut-être pas le bon mot. L’étrangeté nait de la familiarité que tu crées avec le public et les dissonances que tu fais ensuite. Ça crée de la fascination également. Tu utilises ce sentiment et le décalage pour générer une interrogation. C’est à différents niveaux : la figuration dans la représentation, le procédé narratif ou encore le montage.
Effectivement je ne cherche pas toujours à faire des choses agréables, ou pour mettre à l’aise mais je ne pensais pas aller jusqu’au malaise - en tout cas, pas avec le Jester ! -. Je crois aussi que tout dépend de la manière dont on se positionne et dont on perçoit les choses. En allant dans le musée Palazzo Poggi de Bologne où j’ai vu les foetus avec des anomalies congénitales, je n’ai pas été mal à l’aise. Peut-être est-ce parce que j’étais moi-même enceinte et que je projetais quelques chose d’autre en eux, mais je ne les ai pas trouvé monstrueux et ce n’est pas ce que j’ai voulu montrer dans le film. Je pense qu’on a fabriqué la monstruosité par la différence, ou qu’on a fait devenir la différence monstrueuse.
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La narration est très présente dans ton travail qui semble être pensé en parties. Les projets sont séquentiels, fragmentés. Ce serait le premier épisode d’une série Anna & the Jester ?
En effet, il va y avoir un second épisode. J’ai eu une bourse du FNAGP pour le produire. Il sera réalisé avant la fin de l’année, avec la même équipe Sybil Montet-Simon Kounovosky pour un solo show à Kunstraum, à Londres. L’épisode devrait s’intituler The Jester and The Death.
Tu expliques interroger et déconstruire la narration depuis tes précédents projets. Dans ta discussion avec la commissaire de l’exposition, Laura Herman, tu as fait le constat qu’une approche trop expérimentale ne « prenait » pas, n’atteignait pas le public.
Oui, mais c’était il y a 15 ans.
Aujourd’hui dans Anna & the Jester, tu utilises une méthode de narration plus traditionnelle mais juste dans sa forme (la présence d’un personnage par exemple). Elle est davantage abordable et familière mais tu la détournes dans sa finalité. Tu identifies aussi clairement un des problèmes qui peuvent découler du fait d’être moins élitiste : la simplification, l’utilisation d’outils ou de solutions conventionnelles et dans la norme. Comment doses-tu l’aspect abordable dans tes projets ? Quelles limites mets-tu ?
Ça fait un moment que je travaille principalement avec des personnages, 7 ans maintenant.
Le projet Have you seen Pantopon Rose? que j’ai écrit de 2012 à 2017 était initialement une performance qui s’est transformée en film, puis à nouveau en performance. Le moteur de cette histoire est Rose Pantopon, un personnage qui apparait dans Le Festin nu de William Burroughs. Dans le livre, c’est comme une silhouette au cinéma ; tu la vois, de loin ou rapidement, un peu floue.
Tu n’entends jamais sa voix mais peut-être aperçois-tu ses lèvres bouger. Je m’appuie souvent sur un personnage pour raconter une histoire, un personnage fictionnalisé car il ne m’est pas possible d’endosser le costume de quelqu’un qui a vraiment existé, ou alors c’est twisté comme avec Anna & the Jester. Anna, c’est Anna Morandi, une anatomiste du XVIIIe siècle, mais je ne pouvais pas être Anna, alors j’ai créé un double, le Jester.
Du coup nous sommes 3 à cohabiter sous une même entité : moi, Anna et le Jester.
Le rapport aux contes est essentiel dans nombre de mes récits. C’est l’oralité, l’être ensemble. Quand on racontait des histoires, sans poste de radio, de télé (sans parler d’internet), on se réunissait et on écoutait. Tous les âges de la famille cohabitaient sous les mêmes histoires, qui étaient comprises par chacun suivant ce qu’il/elle était. C’est ces différentes passes, ces différents niveaux de lectures que j’ai cherché à retrouver pour Anna & The Jester.
Pour parler de ces différents niveaux de lecture, les dialogues peuvent sembler assez énigmatiques. Si on n’a pas le bagage théorique, l’entièreté de ce qui est raconté peut rester un peu flou. Est-ce que le registre énigmatique est une manière d’interroger les concepts abordés, comme la transparence, et a fortiori de faire s’interroger le spectateur lui-même sur ces questions ?
Je pense qu’il y a des choses qui se passent dans le texte, il y en a qui sont compréhensibles plus immédiatement, d’autres moins, mais on peut toujours se rapporter aux images et à l’action. Ayant travaillé longtemps sur ce projet, il m’est difficile de juger ce qui est trop théorique ou à l’inverse. Et je pense que la tension réside aussi dans ça.
Il y a des moments plus simples, plus drôles qui suivent ou précédent d‘autres plus tragiques ou plus cryptiques. Ce qui m’intéresse dans les textes que j’écris, ce sont ces constantes vagues. En sommes on ne sait jamais ce qu’il va arriver et tout reste incertain et mobile. Personnellement, je n’ai pas de bagage théorique sur la transparence, je ne parle pas en tant qu’experte ou théoricienne de ces concepts dans le film. Je vais lire et faire des recherches pendant un an sur un thème, que je vais essayer de digérer et à partir de cela, je vais commencer à écrire en m’appuyant sur mes notes. Les films sont à l’image de mes interrogations.
Je ne cherche pas de réponses bleues ou rouges, blanches ou noires mais par la lecture j’essaie en effet de me situer le plus loin possible de quelques simplifications que ce soit. Ce dont je me méfie ce sont ces espèces de mots valises, qui sont utilisés partout, et à toutes les sauces, tant et si bien qu’ils perdent leur essence et deviennent jute une enveloppe. À partir du moment où un mot commence à être sur-utilisé, il y a pour moi des questions à se poser sur ce qu’est ce mot ou ce concept et pourquoi il est manipulé.
Il y a aussi une manipulation de l’étrangeté, du malaise, on est sur quelque chose de volontaire et assumé rien que par tes choix de référence : les fœtus morts nés pour les personnages. Est-ce que tu vois le malaise comme un outil de réflexion ou comme quelque chose intrinsèque à ton travail ?
Vous avez été mal à l’aise devant le film ? Je demande pour savoir ce que vous avez ressenti.
Ce n’est peut-être pas le bon mot. L’étrangeté nait de la familiarité que tu crées avec le public et les dissonances que tu fais ensuite. Ça crée de la fascination également. Tu utilises ce sentiment et le décalage pour générer une interrogation. C’est à différents niveaux : la figuration dans la représentation, le procédé narratif ou encore le montage.
Effectivement je ne cherche pas toujours à faire des choses agréables, ou pour mettre à l’aise mais je ne pensais pas aller jusqu’au malaise - en tout cas, pas avec le Jester ! -. Je crois aussi que tout dépend de la manière dont on se positionne et dont on perçoit les choses. En allant dans le musée Palazzo Poggi de Bologne où j’ai vu les foetus avec des anomalies congénitales, je n’ai pas été mal à l’aise. Peut-être est-ce parce que j’étais moi-même enceinte et que je projetais quelques chose d’autre en eux, mais je ne les ai pas trouvé monstrueux et ce n’est pas ce que j’ai voulu montrer dans le film. Je pense qu’on a fabriqué la monstruosité par la différence, ou qu’on a fait devenir la différence monstrueuse.
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