Photographe
Antoine Harinthe
Assistant
Guillaume Lechat
Direction artistique
Mathieu Selvatici
Styliste
Loyc Falque
Set designer
Enzo Selvatici
Groomer
Christos Vourlis
Phototeam
Yves Mourtada
Je vais commencer avec une question un peu absurde, j’ai vu Once Upon a Time in Hollywood, le dernier Tarantino, et j’aimerais savoir ton avis.
J’en ai vu d’autres de lui mais j’ai pas vu celui-là. Moi je le perçois comme un mec malin, il me fait penser à Guy Ritchie, ce sont des types fascinés par la violence parce qu’ils ne la connaissent pas. Il y a cette fascination livresque qui moi me choque. J’aime pas cette violence par procuration car je trouve qu’ils ont créé une génération de quadragénaires un peu ricanants, qui jouent les durs. J’aimerais bien faire une chanson sur les mecs qui jouent aux hommes. Ce cinéma participe beaucoup à une espèce de virilité affichée que je trouve assez pénible.
Beaucoup de cinéastes ont tendance à faire comme lui maintenant dans l’utilisation de la musique. Avant, utiliser une musique pré-existante c’était assez rare. Il y avait Kubrick, mais c’était sa névrose, son envie de contrôler les choses, il réussissait à détourner des musiques. Sa façon de l’utiliser était brillante, celle de Tarantino est maligne. Depuis Tarantino, c’est de plus en plus rare qu’un film ait une bande son originale, ou alors c’est quelque chose d’ambiant assez neutre. Pour les musiciens c’est rageant. Il y a même des bons films salopés par ces choix. Aujourd’hui, quelqu’un conseille directement le réalisateur sur son choix musical une fois les images montées. Soit il demande au compositeur de pasticher des musiques, soit ils achètent les droits.
C’est pour quoi, ne pas payer les droits ?
Ça peut, quand ils le copient. C’est aussi pour se rassurer, car ça permet de valider des images encore fragiles ou pas étalonnées, avec des musiques déjà faites, et généralement superbes. Si on imagine l’inverse, moi qui compose la musique et assemble des extraits de films qui me plaisent, je vais voir un réalisateur et lui dis « tu peux me faire un truc un peu dans le même genre que la première scène de L’année dernière à Marienbad sur ce couplet, et puis là sur cette partie je vois plus la corrida dans Pandora »… Il y a un manque de confiance en soi qui fait qu’on va afficher
un certain type de références. En musique par exemple, selon les genres, Steve Reich va facilement être cité, comme un automatisme. C’est suspect pour moi de cacher ses vraies influences, ça ne fait pas avancer. Tarantino je ne le mettrais pas dans cette catégorie-là car il revendique son maniérisme.
Oui et plutôt explicitement, en rendant hommage à des auteurs et compositeurs.
C’est vrai, il est moins conformiste que ses disciples. On a passé 20 ans à essayer de persuader des réalisateurs et des publicitaires de prendre des chansons d’April March, sans succès. Il a fallu que Tarantino mette Chick Habit sur Boulevard de la mort pour qu’ils se remuent. C’était une adaptation de Laisser tomber les filles, faite en 1994, un rare cas de reprise qui apporte quelque chose à l’originale.
Tu penses que c’est plutôt l’exception que la règle ?
Quand la version originale est parfaite c’est difficile de faire un très bon morceau, c’est intimidant. La version d’April March est presque plus connue que celle de France Gall, qui était pourtant extra.
J’ai entendu la bande de reprise de David Bowie, j’ai trouvé ça troublant.
Je suis un fou de Bowie mais pour moi ce n’est pas le meilleur en reprise. Ses propres morceaux sont tellement plus forts.
J’ai vu qu’au début tu n’aimais pas Bowie ?
Oui ça me paraissait trop superficiel. Quand j’avais 13 ans c’était un chanteur à minettes. C’est moi qui étais en fait superficiel de m’arrêter à son apparence. J’ai jamais eu l’occasion de le voir en concert, même quand je l’écoutais beaucoup dans les années 80.
Quel est le meilleur concert que tu aies vu dans cette période-là ?
Pink Floyd en juin 1974, et Kraftwerk en février 1976. Cet après-midi-là, j’ai vu les années 80-90. Il y avait deux synthés, des instruments bricolés, des projections de diapositives. Je me souviens exactement où j’étais à l’Olympia. Leur projet a toujours été très ambitieux, ils ont aussi réussi à trouver leur public c’est ça qui est génial.
Tu penses à un équivalent en France ? Alain Bashung, Etienne Daho ?
C’est très différent, mais c’est marrant que tu dises Daho, la première fois qu’il est passé chez Michel Drucker nous étions nombreux à être heureux et fiers, sans le connaitre personnellement.
Je m’y connais pas très bien en musique, mais j’ai l’impression que Gainsbourg a alterné entre tubes et quelque chose qui lui était davantage destiné.
Il y a un livre passionnant sur Gainsbourg, de Marie-Dominique Lelièvre, qui s’appelle Gainsbourg sans filtre. C’est une biographie assez universelle car ce qui lui est arrivé, ce personnage public qui a fini par le ronger et le détruire, s’est beaucoup reproduit.
Pour revenir à l’expérience de la scène, j’ai lu une phrase que tu as dite et qui remonte pas mal, c’était : « je ne me sens pas chanteur. » Est-ce que le fait d’être sur scène c’est indissociable ? Ou c’est un moment moins intéressant que le temps de composition ?
Ce que j’aime c’est faire les morceaux, je me sens pas chanteur car en journée je fais autre chose. Je me sens chanteur par défaut, car mes chansons j’aurais été ravi que quelqu’un d’autre les interprète. Je le fais car sinon ces chansons ne verront pas le jour. Je trouve qu’un chanteur est comme un acteur, il y a quelque chose de très corporel. Sur scène c’est une autre énergie que le studio.
J’ai la chance de jouer avec des gens formidables, mais malheureusement on n’a pas la possibilité de travailler un vrai spectacle avec un côté théâtral, une mise en scène, des éclairages, on joue comme des jazzmen, on répète deux heures et on y va.
Un album que tu ne joues pas en public n’aurait pas une valeur inférieure à tes yeux ?
Pas du tout, l’enregistrement et les concerts ce sont des choses très distinctes, comme le cinéma et le théâtre. Là pour mon prochain album je pense pas faire des concerts. Tant pis si ça n’intéresse pas les salles. Si on me le demande je le ferai.
Je ne suis ni la valeur sûre qui permettrait de remplir les salles ni le petit jeune qui monte. C’est affreux je me rends compte qu’on parle des gens vieux qui ont trop de pouvoir, moi je suis en train de vieillir mais je n’aurai pas eu le pouvoir finalement. J’ai la chance de faire des choses qui me plaisent, mais ça reste compliqué, notamment la scène.
Un groupe dont on entend beaucoup parler aujourd’hui est Catastrophe pour son expérience de la scène assez incroyable.
Quand on a la chance d’avoir des gens comme eux, je ne vais pas insister pour moi me la ramener.
Je suis tellement heureux que ça se passe bien pour Catastrophe ou Chassol, que je n’ai pas envie d’être un boulet à réclamer des concerts pour moi.
En tant que producteur, qu’est-ce que tu penses de leur mise en scène ?
L’intérêt de faire mes propres disques c’est que je n’essaie pas de faire mes disques par procuration à travers ceux des autres. Je considère que mon devoir c’est de les aider à aller le plus loin possible dans ce qu’eux veulent faire, et pas d’aller vers ce que moi je voudrais faire. Même si j’adore les producteurs un peu manipulateurs aussi.
C’est qui ces producteurs dans l’histoire de la musique ?
J’ai un ami qui a été une grande influence pour moi, Mike Alway. il avait une vision fantasmée de la musique. Il était directeur artistique dans un label qui s’appelle Cherry Red, mais quand il a monté le sien, él Records, il dictait les titres des chansons ou le nom des artistes. Je trouve ça magnifique, même si c’est un peu dur pour l’amour-propre car il faisait tout pour qu’on ne sache pas qui fait quoi, que les choses restent mystérieuses.
J’ai joué certaines de mes plus belles parties de basse pour lui mais personne ne le sait, ça ne me rend pas malade. Ceux qui ont initiés ça c’est ce qu’on a appelé Bubblegum aux États-Unis à la fin des années 60. Il y avait une musique rock qui devenait prétentieuse.
Des producteurs ont monté pleins de groupes ados, on appelait ça Bubblegum car ils avaient souvent des accords de sponsoring avec des marques de friandises, et les sucreries dans les paroles y étaient une métaphore du sexe : « Sugar, sugar », « Yummy, yummy, yummy ». Il y avait un côté hyper corrupteur. Cette musique était carrée et efficace. J’ai jamais été foutu de faire ça moi. Je fais parfois des tubes en voulant qu’ils passent à la radio, mais ça ne correspond jamais à ce qui passe à la radio à ce moment-là. Donc de toute façon ce sont des tubes idéalisés qui ne correspondent pas à la mode du moment.
C’est pas ce que tu as fait avec Christophe Willem ? Même si au final, il me semble que l’album a marché.
J’avais supervisé son album et composé une partie des morceaux. Mais le single qui a marché c’est pas moi qui l’ai écrit, c’est Zazie. C’était compliqué il avait charmé beaucoup de monde, tout le monde attendait quelque chose de différent et risquait d’être déçu, j’étais heureux de déjouer ce piège. Parfois, j’ai fait des albums très confidentiels et d’autres fois il y a eu des disques de diamant comme pour lui ou Marc Lavoine. C’est con, j’ai l’impression de porter plutôt chance dans ces moments-là.
J’ai écouté cette dernière semaine ton album Les choses qu’on ne peut dire à personne, surtout le single, ça m’a beaucoup fait penser à la musique de Philippe Sarde pour les films de Claude Sautet.
C’est probablement une influence inconsciente, car j’adore la musique de Sarde.
C’est sublime, tu l’as déjà rencontré ?
Je l’ai croisé une fois, j’avais fait des chansons pour Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier et lui avait fait la musique originale. C’est un personnage incroyable.
Il a choisi aujourd’hui une sorte de retraite, non ?
Il a l’air d’avoir une grande intelligence des films, il intervient sur le montage auprès des réalisateurs, c’est ça aussi son apport sur une production. Il a toujours eu des orchestrateurs, mais je pense qu’il a un vrai rôle psychologique. Faire de la musique de film ce n’est pas la musique et le film, c’est comprendre le réalisateur et pouvoir lui apporter des réponses.
Pour le film Quai d’Orsay, j’ai beaucoup entendu parler Tavernier des années 50 et 60 où les compositeurs de musique de film étaient au moins aussi importants que les scénaristes. Il défend énormément la musique, comment il le met en pratique quand lui tourne un film aujourd’hui ?
De ma petite expérience avec lui, c’est quelqu’un qui donne envie aux autres de l’épater. Il donne une grande confiance. Il est jamais intimidant. Il sait parfaitement exprimer ce qu’il veut, c’est ça pour moi le vrai rôle du réalisateur.
Ça n’a aucune importance qu’il s’y connaisse en musique, même si c’est le cas avec lui. Sa force est dans sa capacité de transmettre ce qu’il souhaite, il doit le faire avec tout le monde sur le plateau.
Il t’a donné des références ? Comment il procède ?
Au départ le personnage principal écoutait Led Zeppelin, qui lui avaient demandé plus que le budget du film. Il a eu l’intelligence de conserver le même esprit mais en commandant des musiques originales, plutôt que de faire ça au rabais ou d’avoir des pastiches.
Il m’a parlé des morceaux de rock qu’il aimait, assez teintés de soul. On a enregistré dans les conditions des enregistrements de l’époque qui étaient sa référence, mais sans en faire une parodie comme dans la pub. Je lui ai proposé de prendre Joël Daydé qui est un bluesman français, le premier interprète de Mammy Blue.
On rencontre Joël pour la première fois dans un petit studio de répétition, on commence à répéter. 10 minutes après Tavernier arrive, avec son monteur, je me dis que c’est la catastrophe, on n’est pas du tout prêt. Il écoute et repart ravi après cinq minutes.
Tes références comme compositeurs de film c’est qui ?
C’est très variable, je suis d’un côté épaté par des gens très académiques comme Michel Legrand ou Ennio Morricone par leur bagage, leur mélange de virtuosité et de sensibilité. Mais je vois aussi souvent des gens avec une bien meilleure technique que moi qui parfois font des choses pas si bien que ça, ça me soulage presque. Et d’un autre côté il y a des musiciens qui ont créé leur propre langage, comme François de Roubaix ou Jean-Claude Vannier qui ont appréhendé la musique à leur façon et ont fait quelque chose de très singulier.
C’est moi qui orchestre tout ce que je fais, arrangement et tout ça, mais quand j’entends certains de ces compositeurs j’essaie d’être humble par rapport à ça.
Je repense à ce que tu disais sur Tarantino, est-ce que c’est pas Martin Scorsese qui a commencé à récupérer des tubes ?
C’est possible, ce n’est pas à moi, d’où je suis, de donner des bons et des mauvais points mais je pense que Scorsese ne comprend pas toujours bien la musique. Il ne sait pas toujours la filmer. Je pense qu’il est embourgeoisé dans une espèce de confort, c’est dommage. Taxi Driver c’est un contre-exemple car la musique y est extraordinaire, elle est de Bernard Hermann. Mais sa façon de s’intéresser au rock, maintenant, me fait penser aux interviews de Johnny par Daniel Rondeau. Tu vois, ce côté très condescendant. Aujourd’hui il est prisonnier d’une espèce d’image officielle du rock véhiculée par les groupes de luxe et ce que j’appelle du rock Vuitton. Il est un peu en pilote automatique là-dessus.
Il a fait il y a deux ans la série Vinyl avec Mick Jagger qui n’est pas si mal.
Ce qui est con, c’est pas de sa faute, pour moi la poésie dans le rock elle est venue de choses, de moments imprévisibles. Et lui est sur quelque chose de très codifié. Il y a quelques mois, j’étais aux obsèques de Nancy Holloway, elle est morte dans l’oubli total en France. Ces obsèques, je m’en souviendrai toute ma vie, car tu voyais tout une génération, des survivants des débuts des années 60 qui étaient là. C’était très émouvant, plusieurs personnes ont pris la parole puis ont chanté, c’était un moment de grâce. Chez Scorsese ça tu ne peux pas l’avoir avec 37 caméras.
Je sais que tu aimes bien le cinéma italien. Paolo Sorrentino, qu’est-ce que tu en penses ? Sur le plan musical ce n’est peut-être pas forcément intéressant, c’est un peu la même chose que ce que tu dis pour Scorsese, il cale des tubes sur des images très baroques.
Je n’ai pas vu ses derniers films.
Dans son dernier film Silvio on peut faire un parallèle avec Mon frère est fils unique de Daniele Luchetti, l’acteur est incroyable. On lui a reproché d’être pro et à la fois anti Berlusconi.
Je regarderai alors. En France, il y a eu tout un cinéma dans les années 70, très politique, qui était parfois fait par des réalisateurs grand public comme Henri Verneuil ou Georges Lautner, avec une grande finesse, sans manichéisme. Le combat dans l’île d’Alain Cavalier également, c’est formidable,
Le Crabe-tambour, et L’honneur d’un capitaine aussi de Schoendoerffer.
Ils sont éminemment politiques, mais ils parlent de choses qui se sont passées il y a 20 ans.
Oui mais sortis à un moment où ça reste très tabou. Dans les films de Schoendoerffer sur la guerre d’Algérie, on voit que les motivations des militaires putschistes c’était pas la défense du colonialisme mais l’exploitation. Tous ces discours étaient montrés de manière subtile. Il a des grands crimes du XXème siècle qui n’ont jamais eu de films dessus. Personne n’a fait de film sur Pol Pot, qui a ratiboisé un quart de la population du Cambodge en deux ans, idem quand Mao ou Staline font des millions de morts d’un coup chacun, avec le grand bond en avant ou l’Holodomor, l’extermination par la faim de l’Ukraine…
Il y a des cinéastes avec qui tu travailles, comme par exemple Benoît Forgeard, c’est quoi votre relation ?
Je l’admire, je trouve ses scénarios brillants, il parvient à parler de notre époque avec un humour et une force exceptionnels. Quand son dernier film est sorti, il a eu une critique négative d’une stupidité et d’une prétention assez remarquables. C’est toujours une joie de se faire descendre par des médiocres alors qu’il n’y a rien de pire que de se faire allumer par une personne brillante.
Le masque et la plume était mitigé si je me souviens bien.
Je crois qu’ils étaient assez dégueu même. Chez Forgeard rien n’est fait au hasard, tout est hyper précis. Les mauvaises critiques ont bousillé sa sortie de film, notamment une critique parue dans Le Parisien. Ce qui m’a rassuré sur ce critique c’est que cet été je suis allé voir Playmobil, le film, avec ma fille, et c’était super réussi. Le film s’est fait massacrer par ce même mec du Parisien. J’ai trouvé intéressant car les chansons étaient bien, mais ça emmerdait les gens, ça ne faisait pas bien de dire du bien car c’était une opération commerciale. Je ne suis jamais analytique, quand j’écoute un film ou disque. Il y en a que t’as envie d’aimer d’autres non, Playmobil j’avais pas envie de l’aimer.
Oui, c’est donc encore plus beau quand t’es pris à revers.
Avec Benoît Forgeard tu interviens à quel moment du processus du film ?
Ça dépend. Là il prépare un nouveau scénario dont il m’a parlé dès le début, ça peut faire naître des idées, qu’on garde rarement. Ça permet au moins de défricher le terrain. Là je suis en train de faire une musique pour un film de Marc Fitoussi qui est déjà monté. J’ai très peu de temps, mais c’est un cinéaste très agréable, qui a une grande intelligence de la musique et du reste.
C’est un film sur quoi si ce n’est pas indiscret ?
Écoute, non. C’est un film qui se passe à Vienne sur un chef d’orchestre joué par Benjamin Biolay avec une intrigue a priori très classique. Il trompe sa femme, jouée par Karin Viard. Fitoussi parvient à détourner ça en autre chose, en satire sociale et en drame.
Et Benoît t’a fait tourner comme acteur pour la télévision ?
Oui, et j’ai fait un juge dans son film, mais c’est anecdotique. C’était marrant pour moi de faire ça, c’était pas du tout ma vocation donc ça reste très léger. L’acteur qui me touche beaucoup ces jours-ci, par ses déclarations et le reste, c’est Alain Delon. On sent une tristesse, c’est quelqu’un qui a toujours été obsédé par la mort.
Tu l’as rencontré ?
Non, j’aimerais beaucoup. En 1983, je sortais de chez mes parents, je l’ai vu, seul dans la rue Ampère. Il était en blazer et lunettes noires. Il pleurait. C’était à côté de l’église Saint François de Salles, on entendait de la musique, j’ai compris ensuite que c’était les obsèques de Maurice Ronet. J’ai vu récemment, dans un documentaire sur Alain Delon, une interview de lui quelques semaines après la mort de Jean-Pierre Melville. Ils s’étaient tous les deux disputés pour des broutilles sur un plateau, et en apprenant sa mort ça l’a rendu fou. Dans une interview extrêmement touchante il fait comme si Melville était encore en vie, dans un déni total de la mort de son ami. J’aime chez lui tout ce qu’on lui reproche, sa fidélité en amitié etc.
Je lisais tes goûts littéraires, il y a un truc qui m’avait marqué c’est Dominique de Roux. Qu’est-ce que tu conseilles de lui ?
C’est un fou de littérature, c’est d’abord un éditeur et c’est aussi quelqu’un qui écrit très bien mais en pensant qu’il n’est pas un écrivain. Il a un côté polémiste qui n’est pas le plus intéressant chez lui à mon avis. Celui qui l’a très bien senti c’est Romain Gary qui lui conseille très amicalement dans une lettre d’enlever ce côté-là chez lui. Du coup son oeuvre est un petit puzzle, même si un livre comme Immédiatement c’est une très bonne porte d’entrée. Ça donne bien sa mesure, c’est aussi un écrivain qui essaie de vivre dans son époque et de s’impliquer. Il l’a fait notamment auprès de Jonas Sawimbi, en Angola. Probablement une des causes les plus justes à cette époque-là, et pourtant on le lui a beaucoup reproché… Bernard-Henri Lévy, qui l’avait connu et aidé malgré leurs positions idéologiques très différentes, a publié un beau texte sur lui il y a quelques mois dans Le Point. On cite souvent Malraux dès qu’un écrivain rejoint le théâtre d’opération, mais en l’espèce l’influence de Dominique de Roux me semble au moins aussi forte.
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Photographe
Antoine Harinthe
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Direction artistique
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Styliste
Loyc Falque
Set designer
Enzo Selvatici
Groomer
Christos Vourlis
Phototeam
Yves Mourtada
Je vais commencer avec une question un peu absurde, j’ai vu Once Upon a Time in Hollywood, le dernier Tarantino, et j’aimerais savoir ton avis.
J’en ai vu d’autres de lui mais j’ai pas vu celui-là. Moi je le perçois comme un mec malin, il me fait penser à Guy Ritchie, ce sont des types fascinés par la violence parce qu’ils ne la connaissent pas. Il y a cette fascination livresque qui moi me choque. J’aime pas cette violence par procuration car je trouve qu’ils ont créé une génération de quadragénaires un peu ricanants, qui jouent les durs. J’aimerais bien faire une chanson sur les mecs qui jouent aux hommes. Ce cinéma participe beaucoup à une espèce de virilité affichée que je trouve assez pénible.
Beaucoup de cinéastes ont tendance à faire comme lui maintenant dans l’utilisation de la musique. Avant, utiliser une musique pré-existante c’était assez rare. Il y avait Kubrick, mais c’était sa névrose, son envie de contrôler les choses, il réussissait à détourner des musiques. Sa façon de l’utiliser était brillante, celle de Tarantino est maligne. Depuis Tarantino, c’est de plus en plus rare qu’un film ait une bande son originale, ou alors c’est quelque chose d’ambiant assez neutre. Pour les musiciens c’est rageant. Il y a même des bons films salopés par ces choix. Aujourd’hui, quelqu’un conseille directement le réalisateur sur son choix musical une fois les images montées. Soit il demande au compositeur de pasticher des musiques, soit ils achètent les droits.
C’est pour quoi, ne pas payer les droits ?
Ça peut, quand ils le copient. C’est aussi pour se rassurer, car ça permet de valider des images encore fragiles ou pas étalonnées, avec des musiques déjà faites, et généralement superbes. Si on imagine l’inverse, moi qui compose la musique et assemble des extraits de films qui me plaisent, je vais voir un réalisateur et lui dis « tu peux me faire un truc un peu dans le même genre que la première scène de L’année dernière à Marienbad sur ce couplet, et puis là sur cette partie je vois plus la corrida dans Pandora »… Il y a un manque de confiance en soi qui fait qu’on va afficher
un certain type de références. En musique par exemple, selon les genres, Steve Reich va facilement être cité, comme un automatisme. C’est suspect pour moi de cacher ses vraies influences, ça ne fait pas avancer. Tarantino je ne le mettrais pas dans cette catégorie-là car il revendique son maniérisme.
Oui et plutôt explicitement, en rendant hommage à des auteurs et compositeurs.
C’est vrai, il est moins conformiste que ses disciples. On a passé 20 ans à essayer de persuader des réalisateurs et des publicitaires de prendre des chansons d’April March, sans succès. Il a fallu que Tarantino mette Chick Habit sur Boulevard de la mort pour qu’ils se remuent. C’était une adaptation de Laisser tomber les filles, faite en 1994, un rare cas de reprise qui apporte quelque chose à l’originale.
Tu penses que c’est plutôt l’exception que la règle ?
Quand la version originale est parfaite c’est difficile de faire un très bon morceau, c’est intimidant. La version d’April March est presque plus connue que celle de France Gall, qui était pourtant extra.
J’ai entendu la bande de reprise de David Bowie, j’ai trouvé ça troublant.
Je suis un fou de Bowie mais pour moi ce n’est pas le meilleur en reprise. Ses propres morceaux sont tellement plus forts.
J’ai vu qu’au début tu n’aimais pas Bowie ?
Oui ça me paraissait trop superficiel. Quand j’avais 13 ans c’était un chanteur à minettes. C’est moi qui étais en fait superficiel de m’arrêter à son apparence. J’ai jamais eu l’occasion de le voir en concert, même quand je l’écoutais beaucoup dans les années 80.
Quel est le meilleur concert que tu aies vu dans cette période-là ?
Pink Floyd en juin 1974, et Kraftwerk en février 1976. Cet après-midi-là, j’ai vu les années 80-90. Il y avait deux synthés, des instruments bricolés, des projections de diapositives. Je me souviens exactement où j’étais à l’Olympia. Leur projet a toujours été très ambitieux, ils ont aussi réussi à trouver leur public c’est ça qui est génial.
Tu penses à un équivalent en France ? Alain Bashung, Etienne Daho ?
C’est très différent, mais c’est marrant que tu dises Daho, la première fois qu’il est passé chez Michel Drucker nous étions nombreux à être heureux et fiers, sans le connaitre personnellement.
Je m’y connais pas très bien en musique, mais j’ai l’impression que Gainsbourg a alterné entre tubes et quelque chose qui lui était davantage destiné.
Il y a un livre passionnant sur Gainsbourg, de Marie-Dominique Lelièvre, qui s’appelle Gainsbourg sans filtre. C’est une biographie assez universelle car ce qui lui est arrivé, ce personnage public qui a fini par le ronger et le détruire, s’est beaucoup reproduit.
Pour revenir à l’expérience de la scène, j’ai lu une phrase que tu as dite et qui remonte pas mal, c’était : « je ne me sens pas chanteur. » Est-ce que le fait d’être sur scène c’est indissociable ? Ou c’est un moment moins intéressant que le temps de composition ?
Ce que j’aime c’est faire les morceaux, je me sens pas chanteur car en journée je fais autre chose. Je me sens chanteur par défaut, car mes chansons j’aurais été ravi que quelqu’un d’autre les interprète. Je le fais car sinon ces chansons ne verront pas le jour. Je trouve qu’un chanteur est comme un acteur, il y a quelque chose de très corporel. Sur scène c’est une autre énergie que le studio.
J’ai la chance de jouer avec des gens formidables, mais malheureusement on n’a pas la possibilité de travailler un vrai spectacle avec un côté théâtral, une mise en scène, des éclairages, on joue comme des jazzmen, on répète deux heures et on y va.
Un album que tu ne joues pas en public n’aurait pas une valeur inférieure à tes yeux ?
Pas du tout, l’enregistrement et les concerts ce sont des choses très distinctes, comme le cinéma et le théâtre. Là pour mon prochain album je pense pas faire des concerts. Tant pis si ça n’intéresse pas les salles. Si on me le demande je le ferai.
Je ne suis ni la valeur sûre qui permettrait de remplir les salles ni le petit jeune qui monte. C’est affreux je me rends compte qu’on parle des gens vieux qui ont trop de pouvoir, moi je suis en train de vieillir mais je n’aurai pas eu le pouvoir finalement. J’ai la chance de faire des choses qui me plaisent, mais ça reste compliqué, notamment la scène.
Un groupe dont on entend beaucoup parler aujourd’hui est Catastrophe pour son expérience de la scène assez incroyable.
Quand on a la chance d’avoir des gens comme eux, je ne vais pas insister pour moi me la ramener.
Je suis tellement heureux que ça se passe bien pour Catastrophe ou Chassol, que je n’ai pas envie d’être un boulet à réclamer des concerts pour moi.
En tant que producteur, qu’est-ce que tu penses de leur mise en scène ?
L’intérêt de faire mes propres disques c’est que je n’essaie pas de faire mes disques par procuration à travers ceux des autres. Je considère que mon devoir c’est de les aider à aller le plus loin possible dans ce qu’eux veulent faire, et pas d’aller vers ce que moi je voudrais faire. Même si j’adore les producteurs un peu manipulateurs aussi.
C’est qui ces producteurs dans l’histoire de la musique ?
J’ai un ami qui a été une grande influence pour moi, Mike Alway. il avait une vision fantasmée de la musique. Il était directeur artistique dans un label qui s’appelle Cherry Red, mais quand il a monté le sien, él Records, il dictait les titres des chansons ou le nom des artistes. Je trouve ça magnifique, même si c’est un peu dur pour l’amour-propre car il faisait tout pour qu’on ne sache pas qui fait quoi, que les choses restent mystérieuses.
J’ai joué certaines de mes plus belles parties de basse pour lui mais personne ne le sait, ça ne me rend pas malade. Ceux qui ont initiés ça c’est ce qu’on a appelé Bubblegum aux États-Unis à la fin des années 60. Il y avait une musique rock qui devenait prétentieuse.
Des producteurs ont monté pleins de groupes ados, on appelait ça Bubblegum car ils avaient souvent des accords de sponsoring avec des marques de friandises, et les sucreries dans les paroles y étaient une métaphore du sexe : « Sugar, sugar », « Yummy, yummy, yummy ». Il y avait un côté hyper corrupteur. Cette musique était carrée et efficace. J’ai jamais été foutu de faire ça moi. Je fais parfois des tubes en voulant qu’ils passent à la radio, mais ça ne correspond jamais à ce qui passe à la radio à ce moment-là. Donc de toute façon ce sont des tubes idéalisés qui ne correspondent pas à la mode du moment.
C’est pas ce que tu as fait avec Christophe Willem ? Même si au final, il me semble que l’album a marché.
J’avais supervisé son album et composé une partie des morceaux. Mais le single qui a marché c’est pas moi qui l’ai écrit, c’est Zazie. C’était compliqué il avait charmé beaucoup de monde, tout le monde attendait quelque chose de différent et risquait d’être déçu, j’étais heureux de déjouer ce piège. Parfois, j’ai fait des albums très confidentiels et d’autres fois il y a eu des disques de diamant comme pour lui ou Marc Lavoine. C’est con, j’ai l’impression de porter plutôt chance dans ces moments-là.
J’ai écouté cette dernière semaine ton album Les choses qu’on ne peut dire à personne, surtout le single, ça m’a beaucoup fait penser à la musique de Philippe Sarde pour les films de Claude Sautet.
C’est probablement une influence inconsciente, car j’adore la musique de Sarde.
C’est sublime, tu l’as déjà rencontré ?
Je l’ai croisé une fois, j’avais fait des chansons pour Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier et lui avait fait la musique originale. C’est un personnage incroyable.
Il a choisi aujourd’hui une sorte de retraite, non ?
Il a l’air d’avoir une grande intelligence des films, il intervient sur le montage auprès des réalisateurs, c’est ça aussi son apport sur une production. Il a toujours eu des orchestrateurs, mais je pense qu’il a un vrai rôle psychologique. Faire de la musique de film ce n’est pas la musique et le film, c’est comprendre le réalisateur et pouvoir lui apporter des réponses.
Pour le film Quai d’Orsay, j’ai beaucoup entendu parler Tavernier des années 50 et 60 où les compositeurs de musique de film étaient au moins aussi importants que les scénaristes. Il défend énormément la musique, comment il le met en pratique quand lui tourne un film aujourd’hui ?
De ma petite expérience avec lui, c’est quelqu’un qui donne envie aux autres de l’épater. Il donne une grande confiance. Il est jamais intimidant. Il sait parfaitement exprimer ce qu’il veut, c’est ça pour moi le vrai rôle du réalisateur.
Ça n’a aucune importance qu’il s’y connaisse en musique, même si c’est le cas avec lui. Sa force est dans sa capacité de transmettre ce qu’il souhaite, il doit le faire avec tout le monde sur le plateau.
Il t’a donné des références ? Comment il procède ?
Au départ le personnage principal écoutait Led Zeppelin, qui lui avaient demandé plus que le budget du film. Il a eu l’intelligence de conserver le même esprit mais en commandant des musiques originales, plutôt que de faire ça au rabais ou d’avoir des pastiches.
Il m’a parlé des morceaux de rock qu’il aimait, assez teintés de soul. On a enregistré dans les conditions des enregistrements de l’époque qui étaient sa référence, mais sans en faire une parodie comme dans la pub. Je lui ai proposé de prendre Joël Daydé qui est un bluesman français, le premier interprète de Mammy Blue.
On rencontre Joël pour la première fois dans un petit studio de répétition, on commence à répéter. 10 minutes après Tavernier arrive, avec son monteur, je me dis que c’est la catastrophe, on n’est pas du tout prêt. Il écoute et repart ravi après cinq minutes.
Tes références comme compositeurs de film c’est qui ?
C’est très variable, je suis d’un côté épaté par des gens très académiques comme Michel Legrand ou Ennio Morricone par leur bagage, leur mélange de virtuosité et de sensibilité. Mais je vois aussi souvent des gens avec une bien meilleure technique que moi qui parfois font des choses pas si bien que ça, ça me soulage presque. Et d’un autre côté il y a des musiciens qui ont créé leur propre langage, comme François de Roubaix ou Jean-Claude Vannier qui ont appréhendé la musique à leur façon et ont fait quelque chose de très singulier.
C’est moi qui orchestre tout ce que je fais, arrangement et tout ça, mais quand j’entends certains de ces compositeurs j’essaie d’être humble par rapport à ça.
Je repense à ce que tu disais sur Tarantino, est-ce que c’est pas Martin Scorsese qui a commencé à récupérer des tubes ?
C’est possible, ce n’est pas à moi, d’où je suis, de donner des bons et des mauvais points mais je pense que Scorsese ne comprend pas toujours bien la musique. Il ne sait pas toujours la filmer. Je pense qu’il est embourgeoisé dans une espèce de confort, c’est dommage. Taxi Driver c’est un contre-exemple car la musique y est extraordinaire, elle est de Bernard Hermann. Mais sa façon de s’intéresser au rock, maintenant, me fait penser aux interviews de Johnny par Daniel Rondeau. Tu vois, ce côté très condescendant. Aujourd’hui il est prisonnier d’une espèce d’image officielle du rock véhiculée par les groupes de luxe et ce que j’appelle du rock Vuitton. Il est un peu en pilote automatique là-dessus.
Il a fait il y a deux ans la série Vinyl avec Mick Jagger qui n’est pas si mal.
Ce qui est con, c’est pas de sa faute, pour moi la poésie dans le rock elle est venue de choses, de moments imprévisibles. Et lui est sur quelque chose de très codifié. Il y a quelques mois, j’étais aux obsèques de Nancy Holloway, elle est morte dans l’oubli total en France. Ces obsèques, je m’en souviendrai toute ma vie, car tu voyais tout une génération, des survivants des débuts des années 60 qui étaient là. C’était très émouvant, plusieurs personnes ont pris la parole puis ont chanté, c’était un moment de grâce. Chez Scorsese ça tu ne peux pas l’avoir avec 37 caméras.
Je sais que tu aimes bien le cinéma italien. Paolo Sorrentino, qu’est-ce que tu en penses ? Sur le plan musical ce n’est peut-être pas forcément intéressant, c’est un peu la même chose que ce que tu dis pour Scorsese, il cale des tubes sur des images très baroques.
Je n’ai pas vu ses derniers films.
Dans son dernier film Silvio on peut faire un parallèle avec Mon frère est fils unique de Daniele Luchetti, l’acteur est incroyable. On lui a reproché d’être pro et à la fois anti Berlusconi.
Je regarderai alors. En France, il y a eu tout un cinéma dans les années 70, très politique, qui était parfois fait par des réalisateurs grand public comme Henri Verneuil ou Georges Lautner, avec une grande finesse, sans manichéisme. Le combat dans l’île d’Alain Cavalier également, c’est formidable,
Le Crabe-tambour, et L’honneur d’un capitaine aussi de Schoendoerffer.
Ils sont éminemment politiques, mais ils parlent de choses qui se sont passées il y a 20 ans.
Oui mais sortis à un moment où ça reste très tabou. Dans les films de Schoendoerffer sur la guerre d’Algérie, on voit que les motivations des militaires putschistes c’était pas la défense du colonialisme mais l’exploitation. Tous ces discours étaient montrés de manière subtile. Il a des grands crimes du XXème siècle qui n’ont jamais eu de films dessus. Personne n’a fait de film sur Pol Pot, qui a ratiboisé un quart de la population du Cambodge en deux ans, idem quand Mao ou Staline font des millions de morts d’un coup chacun, avec le grand bond en avant ou l’Holodomor, l’extermination par la faim de l’Ukraine…
Il y a des cinéastes avec qui tu travailles, comme par exemple Benoît Forgeard, c’est quoi votre relation ?
Je l’admire, je trouve ses scénarios brillants, il parvient à parler de notre époque avec un humour et une force exceptionnels. Quand son dernier film est sorti, il a eu une critique négative d’une stupidité et d’une prétention assez remarquables. C’est toujours une joie de se faire descendre par des médiocres alors qu’il n’y a rien de pire que de se faire allumer par une personne brillante.
Le masque et la plume était mitigé si je me souviens bien.
Je crois qu’ils étaient assez dégueu même. Chez Forgeard rien n’est fait au hasard, tout est hyper précis. Les mauvaises critiques ont bousillé sa sortie de film, notamment une critique parue dans Le Parisien. Ce qui m’a rassuré sur ce critique c’est que cet été je suis allé voir Playmobil, le film, avec ma fille, et c’était super réussi. Le film s’est fait massacrer par ce même mec du Parisien. J’ai trouvé intéressant car les chansons étaient bien, mais ça emmerdait les gens, ça ne faisait pas bien de dire du bien car c’était une opération commerciale. Je ne suis jamais analytique, quand j’écoute un film ou disque. Il y en a que t’as envie d’aimer d’autres non, Playmobil j’avais pas envie de l’aimer.
Oui, c’est donc encore plus beau quand t’es pris à revers.
Avec Benoît Forgeard tu interviens à quel moment du processus du film ?
Ça dépend. Là il prépare un nouveau scénario dont il m’a parlé dès le début, ça peut faire naître des idées, qu’on garde rarement. Ça permet au moins de défricher le terrain. Là je suis en train de faire une musique pour un film de Marc Fitoussi qui est déjà monté. J’ai très peu de temps, mais c’est un cinéaste très agréable, qui a une grande intelligence de la musique et du reste.
C’est un film sur quoi si ce n’est pas indiscret ?
Écoute, non. C’est un film qui se passe à Vienne sur un chef d’orchestre joué par Benjamin Biolay avec une intrigue a priori très classique. Il trompe sa femme, jouée par Karin Viard. Fitoussi parvient à détourner ça en autre chose, en satire sociale et en drame.
Et Benoît t’a fait tourner comme acteur pour la télévision ?
Oui, et j’ai fait un juge dans son film, mais c’est anecdotique. C’était marrant pour moi de faire ça, c’était pas du tout ma vocation donc ça reste très léger. L’acteur qui me touche beaucoup ces jours-ci, par ses déclarations et le reste, c’est Alain Delon. On sent une tristesse, c’est quelqu’un qui a toujours été obsédé par la mort.
Tu l’as rencontré ?
Non, j’aimerais beaucoup. En 1983, je sortais de chez mes parents, je l’ai vu, seul dans la rue Ampère. Il était en blazer et lunettes noires. Il pleurait. C’était à côté de l’église Saint François de Salles, on entendait de la musique, j’ai compris ensuite que c’était les obsèques de Maurice Ronet. J’ai vu récemment, dans un documentaire sur Alain Delon, une interview de lui quelques semaines après la mort de Jean-Pierre Melville. Ils s’étaient tous les deux disputés pour des broutilles sur un plateau, et en apprenant sa mort ça l’a rendu fou. Dans une interview extrêmement touchante il fait comme si Melville était encore en vie, dans un déni total de la mort de son ami. J’aime chez lui tout ce qu’on lui reproche, sa fidélité en amitié etc.
Je lisais tes goûts littéraires, il y a un truc qui m’avait marqué c’est Dominique de Roux. Qu’est-ce que tu conseilles de lui ?
C’est un fou de littérature, c’est d’abord un éditeur et c’est aussi quelqu’un qui écrit très bien mais en pensant qu’il n’est pas un écrivain. Il a un côté polémiste qui n’est pas le plus intéressant chez lui à mon avis. Celui qui l’a très bien senti c’est Romain Gary qui lui conseille très amicalement dans une lettre d’enlever ce côté-là chez lui. Du coup son oeuvre est un petit puzzle, même si un livre comme Immédiatement c’est une très bonne porte d’entrée. Ça donne bien sa mesure, c’est aussi un écrivain qui essaie de vivre dans son époque et de s’impliquer. Il l’a fait notamment auprès de Jonas Sawimbi, en Angola. Probablement une des causes les plus justes à cette époque-là, et pourtant on le lui a beaucoup reproché… Bernard-Henri Lévy, qui l’avait connu et aidé malgré leurs positions idéologiques très différentes, a publié un beau texte sur lui il y a quelques mois dans Le Point. On cite souvent Malraux dès qu’un écrivain rejoint le théâtre d’opération, mais en l’espèce l’influence de Dominique de Roux me semble au moins aussi forte.
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